Retraite étonnante

LE GARDIEN DU JET D'EAU

Publié en avril 2025

Retraité rime avec utilité pour Gilbert Jenzer. Sans hésiter, il s’est porté candidat à la supervision du Jet d’eau. Une fonction sur mesure pour cet ancien fontainier des Services industriels de Genève et aussi la fierté de veiller sur l’attraction emblématique de la cité du bout du lac.

« Ce n’est pas un travail ! », s’exclame Gilbert Jenzer lorsqu’on lui demande en quoi consistent ses tâches de surveillant du Jet d’eau de Genève. De fait, si cette fonction comporte d’évidentes contraintes et responsabilités, elle n’est exercée que par des retraités des Services industriels de Genève (SIG), en échange d’une indemnité parfois bienvenue pour compléter une retraite modeste. Au nombre de cinq, ces volontaires accomplissent leur mission avec un sens de l’engagement à faire pâlir d’envie un chef d’entreprise. Un coup d’oeil à leur planning suffit à mesurer leur investissement pour assurer la visibilité de l’élégant panache rafraîchissant, qui trône au bout de la jetée des Eaux-Vives depuis 1891.
Emblématique de la Genève internationale, le Jet d’eau s’illumine régulièrement afin de célébrer un événement spécial. Ses mises en couleur respectent un calendrier précis et ne peuvent pas être liées à des actions privées ou publicitaires. Les autorisations sont octroyées par les SIG et, pour les demandes d’ordre diplomatique, par le Service cantonal du protocole. Géré en partie à distance, le fonctionnement de la plus célèbre des attractions touristiques genevoises comprend néanmoins une part manuelle. C’est en pressant sur un bouton que, non sans fierté, Gilbert et ses collègues retraités procèdent à sa mise en eau.
« En quittant les SIG, j’étais le dinosaure. Aujourd’hui, je suis le gamin de l’équipe.»

Gilbert Jenzer

Surveillant du Jet d'eau




FIN OBSERVATEUR


A l’exception des semaines de révision technique, le Jet d’eau prend d’assaut le ciel de la rade tous les matins et jusqu’en soirée. Sauf lorsque le vent souffle trop fort, poussant les embruns sur les quais, ou quand les températures avoisinent le zéro degré. Dans ces deux cas, c’est au surveillant de décider de couper le flux aquatique. « Nous sommes les mieux placés pour le faire, car nous sommes toujours dans les environs immédiats du Jet d’eau, note Gilbert Jenzer. Ce n’est pas une décision prise à la légère. En cas d’arrêt, trente à quarante minutes sont ensuite nécessaires avant de relancer le système. »

Il s’agit, en effet, de ne pas endommager la station de pompage autonome à l’origine de la puissance de propulsion de l’eau. Installées en 1951, deux pompes projettent ainsi un demi-mètre cube d’eau du lac par seconde à une hauteur de 140 mètres et à une vitesse de 200 km/h. Prochaine amélioration envisagée : réduire la soif du Jet d’eau, dont la consommation annuelle équivaut à celle de 1000 ménages.

Afin d’éviter les arrêts intempestifs, Gilbert cultive les petites astuces. « J’ai sans cesse un oeil sur la météo. Déjà la veille de ma prise de service, je consulte les prévisions du temps. Plutôt que d’exercer ma surveillance depuis notre local technique, je préfère être en extérieur. Je peux observer les drapeaux, les bateaux, sentir si le joran ou la bise se lèvent. » Autant d’indications qui facilitent l’évaluation de la situation.



Continuer à se rendre utile, rester actif, rencontrer des personnes du monde entier, autant de raisons qui ont motivé Gilbert Jenzer à oeuvrer comme surveillant du Jet d’eau.

LE BENJAMIN DE L’ÉQUIPE


En 1994, Gilbert Jenzer entre aux Services industriels. Rapidement, il rejoint le service de l’eau. Il passe un brevet fédéral de fontainier qui lui assure la maîtrise de la chaîne de l’eau : du captage à la distribution chez le client. « En quarante-neuf ans de carrière au total, dont dix-neuf ans dans le secteur privé, j’ai eu sous ma supervision quelque 850 apprentis. J’officie comme expert sanitaire pour le canton de Genève depuis 1986. »

Le parcours de ce Bernésien, promu gardien du Jet d’eau depuis le 1er décembre 2023, pourrait expliquer son recrutement. Mais ses précieuses compétences professionnelles ne sont pas les seules à avoir compté : « Personnellement, ayant la chance d’être en bonne santé, je cherchais à rester actif et à me rendre utile. Mon épouse ne sera à la retraite que dans six ans, alors exercer une activité comme celle-ci me maintient. » L’eau est source de vie, dit-on. Celle du Jet d’eau semble réussir à ses cinq anges gardiens, qui comptent deux octogénaires dans leurs rangs. Gilbert commente avec le sourire son nouveau statut : « En quittant les SIG, j’étais le dinosaure. Aujourd’hui, je suis le gamin de l’équipe. »

UN RÔLE DIVERSIFIÉ


Connu bien au-delà des frontières nationales, le Jet d’eau attire des admirateurs du monde entier. « Imaginez leur déception lorsque nous ne pouvons pas le mettre en fonction », relève Gilbert Jenzer, qui dit apprécier les échanges avec ces badauds de tous horizons. L’été en particulier, « parce que l’ambiance est décontractée », Gilbert joue volontiers au guide touristique. Il indique aux visiteurs les bons plans pour photographier « son » protégé sous son meilleur profil. Le point de vue idéal ? « Depuis un bateau au milieu de la rade. »

Et parce que, même à la retraite, il appartient à la famille des Services industriels, le surveillant porte à l’occasion le pull-over de son ancienne entreprise. « Ça facilite le contact avec les gens qui nous posent beaucoup de questions. » Comment leur décrirait-il le Jet d’eau ? Sans s’embarrasser d’une tournure compliquée, Gilbert Jenzer répond joliment : « C’est une grande fontaine. »