Retraite étonnante

Le gardien des secrets de Fribourg

Publié en août 2024

Au pied des Préalpes fribourgeoises, à 102 km à vol d’oiseau de Genève, le guide octogénaire Gérald Caboussat fait visiter sa ville de Fribourg depuis deux décennies.

Il n’est pas le seul guide employé par l’office du tourisme de Fribourg, mais il est probablement l’unique à avoir huitante ans et à occuper sa retraite, depuis vingt ans, à nous faire partager sa passion : Fribourg. « C’est ma ville et c’est la plus belle ville du monde », annonce-t-il, sourire en coin. De son monde, c’est certain.

Gérald Caboussat a arpenté la Suisse sa vie durant, comme employé postal. « A la Poste, j’ai fait tous les métiers, du guichet aux achats, en passant par les cars postaux. » Il y a terminé sa carrière comme chef de la sécurité des colis du géant jaune.

Une vie active qui lui a aussi donné l’occasion d’apprendre et de parler tous les dialectes de la Suisse alémanique.

Dès sa retraite, fort de son bagage linguistique et de sa passion pour la ville qui l’a vu naître, Gérald Caboussat a trouvé la meilleure manière de conjuguer ses talents, en faisant visiter Fribourg aux touristes. Une activité qu’il pratique dans tous les idiomes alémaniques, en français et aussi... en bolze. Nous y reviendrons.

Le curé Noël était un fervent supporter de hockey. Les joueurs de Gottéron lui restent reconnaissants d’avoir, un jour, stoppé à coups de parapluie un ailier d’Arosa qui débordait le long de la bande.

Gérald Caboussat

Guide à l’office du tourisme de Fribourg

LE CURÉ NOËL FÉDÉRAL 


A visiter la ville en compagnie de Gérald Caboussat, on le sent ému devant chaque bâtisse de la magnifique Basse-Ville. Il vibre au pied de la cathédrale gothique de Saint-Nicolas : « On peut grimper à son sommet en gravissant 368 marches, et non 365 comme tout le monde le dit, parce que ça fait penser à une année. » Et si l’on en reste aux nombres, on apprend grâce à lui que la célèbre Grand-Rue de Fribourg a une particularité. D’habitude les rues sont numérotées ainsi : les pairs d’un côté et les impairs de l’autre. Mais à la Grand-Rue, la numérotation ne suit pas cette règle. Tous les numéros s’y succèdent sur le côté droit et remontent ensuite sur le côté gauche : « Ainsi, là où on est, vous voyez que le n° 7 fait face au 68 », s’amuse notre guide.

Il n’y a pas que les sites de la ville des Zaehringen qui le passionnent. Fribourg a aussi son quota de célébrités. « Le curé Noël par exemple ! » s’enthousiasme Gérald. Ce chanoine, aujourd’hui disparu, était un personnage de la Vieille Ville où il officiait. Il était connu loin à la ronde, pour son physique d’abord : visage rubicond, voix grasseyante, ventre replet tendant la soutane. Sa grande jovialité s’exprimait dans la rue, à table bien sûr, mais aussi en chaire. En 1961, il déclare en sermon : « Le cosmonaute Gagarine, dans son vaisseau spatial, a dit qu’en traversant le ciel il n’avait pas aperçu le Bon Dieu. Il n’a sûrement pas bien regardé. »

Le curé Noël était un fervent supporter de hockey. « Les joueurs de Gottéron lui restent reconnaissants d’avoir, un jour, stoppé à coups de parapluie un ailier d’Arosa qui débordait le long de la bande. »

TRENTE-CINQ MORAT-FRIBOURG FÉDÉRAL 


Gérald a des anecdotes à revendre, dans tous les domaines : « A Fribourg, quand on veut aller aux toilettes, on dit : je vais à Pérolles 36 (le grand boulevard de la ville). Tout le monde comprend. »

Historiquement, c’est exact : il y avait à l’époque des WC publics sis à ce numéro. Un éboulement les a condamnés, mais l’expression, elle, est restée bien ancrée.

Visiter Fribourg en compagnie de Gérald Caboussat peut prendre de une à trois heures. Cela dépend du temps que vous avez à disposition et certainement aussi de votre condition physique ! La sienne est à toute épreuve.

Un peu de géographie pour mieux comprendre : Fribourg est caractérisée par son relief accidenté. Son point le plus bas, au bord de la Sarine, est à 541 mètres tandis que le point le plus haut, la colline du Guintzet, culmine à 691 mètres. Ces 150 mètres de dénivelé ravissent Gérald Caboussat.

Il grimpe sans s’essouffler les escaliers pavés de la pente impressionnante qui conduit à l’Hôtel de Ville, et se justifie : « J’ai toujours fait du sport, du ski de fond et aussi le Morat-Fribourg que j’ai couru trente-cinq fois. ». Mais Gérald comprendra que vous préfériez monter dans le mythique funiculaire (fonctionnant aux eaux usées) pour quitter la Basse-Ville.

LE KRATZ ET LE STECKR FÉDÉRAL 


Si le curé Noël est très connu, que dire alors de Joseph Siffert, célébrissime Fribourgeois, pilote de Formule 1, qui remporta cinq victoires, dont deux en championnat du monde ? Gérald Caboussat reconnaîtra en lui l’ambassadeur des Bolzes : « Joseph, dit Jo, dit Seppi, était un vrai Bolze qui parlait le bolze, pas le français ! ». Le bolze, c’est un état d’esprit, c’est un mélange libre entre l’allemand et le français, c’est LA langue des Fribourgeois de la Basse-Ville bilingue. C’est aussi celle que se doit de connaître Gérald Caboussat, qui émaille son tour de Fribourg de phrases dans ce langage typique. Exemple : « Le vatre a schlagué le kratz avec un steckr. » Comprenez : « Le père a battu le chat avec un bâton. » Une expression connue de tous les Fribourgeois !

Outre les citations en bolze, Gérald a la langue aussi déliée que ses guibolles, pour nous faire visiter Fribourg dans tous les dialectes alémaniques possibles. Il explique, à sa façon, sa progression dans les idiomes d’outre-Sarine : « Mécolle, gamin, au début, en singinois, j’savais dire que deux mots : tabouret et cervelas ! Après, tout le reste est venu ! ». Longue vie au guide !