Retraite étonnante

La flamme d'entreprendre

Publié en avril 2023

Dans son métier d'avant, Serge Rogivue associait avec succès bon candidat et poste idéal. En 2022, il choisit de devenir cirier. Pour cet entrepreneur-né, passer du recrutement de personnel à la création de bougies correspond à une «simple» succession de cycles de vie.

« J’aime détourner les choses », glisse Serge Rogivue avec un air malicieux, au moment de couler délicatement de la cire dans un moule à briques. « Je prépare cette bougie pour une cliente qui cherchait un cadeau d’anniversaire à offrir à son fils maçon. Le récipient était tout trouvé ! » Le bon contenant pour le bon contenu. Les éléments qui composent le nouvel univers professionnel du cirier tranchent avec ceux de ses précédentes fonctions, mais ils présentent toutefois de surprenantes similitudes avec son métier d'avant.

Durant dix ans, Serge Rogivue a occupé des responsabilités au sein
des ressources humaines d’une entreprise de la grande distribution. Un domaine exigeant qui lui a permis d’acquérir toutes les ficelles du métier. « J’ai adoré mon job ! Mais à un certain moment j’ai ressenti le besoin de changer. Travailler douze heures par jour m'amenait à me poser beaucoup de questions. Je me suis dit que soit je continuais là où j’étais et j’y restais, soit je trouvais un poste de responsable RH ailleurs. » Brevet fédéral en gestion de personnel en poche, il part à la chasse de l’emploi de ses rêves. « Je n’avais absolument pas l’intention de me mettre à mon compte », se souvient-il, tout sourire. C’est pourtant ce qu’il fait six mois plus tard en créant, en 2001, son propre cabinet de recrutement.
La liberté de choisir sa vie, c’est pour moi le bien le plus précieux.

Serge Rogivue

Cirier




UN LIEU ET DU SENS


Aujourd’hui, le recrutement de personnel appartient au passé. Son énergie, Serge Rogivue la consacre à sa passion : les bougies. Dans son atelier boutique ouvert il y a une année, le Gryonnais d’adoption laisse libre cours à sa créativité. Comment ce Lausannois établi précédemment à Montreux a-t-il élu domicile dans les Alpes vaudoises ? « Avec ma femme, Valérie, nous souhaitions vivre à la montagne. J’ai réfléchi à une activité qui me permettrait de fabriquer quelque chose en accord avec mes valeurs et ayant du sens. J’ai cherché un local et l’idée de concevoir et vendre des bougies s’est imposée. »

Une réorientation à 180 degrés assumée à cent pour cent même si – petit bémol – il reconnaît ne pas parvenir à se sortir un salaire. Pas encore. « Il me reste des étapes à franchir, mais je suis convaincu qu’il existe un marché intéressant à condition de respecter la ligne que je me suis fixée, à savoir privilégier les matières pures, de qualité et le commerce de proximité. » Et sur ce point, le Vaudois ne transige pas. La simple évocation du mot paraffine est bannie. Chez lui, il n’y a de place que pour la cire de soja végétale, les mèches en coton et en papier, ou en bois, les parfums naturels subtilement dosés et le partenariat avec des fournisseurs locaux. Question d’éthique, « déjà avant, je travaillais en priorité avec des acteurs économiques de la région. »

Serge Rogivue
Serge Rogivue a fait beaucoup d’essais pour maîtriser la cire de soja. Capricieuse, cette dernière nécessite une technique particulière pour développer toute sa richesse.

La géographie a-t-elle joué un rôle dans la reconversion de notre homme ? Il a beau affirmer qu’il « n’a jamais été un mec à bougies », il n’empêche qu’enfant déjà, Serge Rogivue en façonnait du côté d’Epalinges, durant la période des fêtes de fin d’année. « Je trouvais cela mirifique », s’exclame-t-il avec des étincelles plein les prunelles. Adepte de feng shui, l’ex-chasseur de têtes a visiblement su capter le potentiel d’exploitation d’une telle activité au coeur des Alpes, région qu’il connaît bien pour la fréquenter depuis des dizaines d’années. Il a réalisé 2400 bougies et utilisé une tonne de cire en à peine douze mois. Et il songe déjà à la manière de développer son nouveau business.


UNE IDÉE DÉSUÈTE


Face à pareil enthousiasme, évoquer une quelconque retraite frise l’incongruité. « J’y pense, répond-il sur un ton laconique. Ce qui m’interpelle, c’est le fonctionnement de notre système. » Et là, cet éternel actif devient volubile : « Le concept actuel est totalement has been, pas assez flexible. Il va créer d’énormes problèmes dans les prochaines décennies et personne ne s’en soucie. La Suisse devrait être en mesure de proposer des projets de société et de vie. »
Mains qui coulent la cire pour faire des bougies
Cinq cents grammes de cire de soja assurent cent heures de flamme. Les bougies du cirier de Gryon sont parfumées subtilement et sont rechargeables.

Une manière de voir que le cirier, formé auprès d’une artisane de Genève, applique de longue date. « L’existence est un enchaînement de cycles, l’entrepreneuriat, une question d’opportunités. Depuis que je me suis lancé dans la création et la vente de bougies, j’ai l’impression d’avoir rajeuni. J’éprouve les mêmes sensations que lorsque j’ai démarré mon cabinet de consulting. J’ai toujours bataillé pour sortir du cadre dans lequel la vision étriquée de l'entrepreneuriat nous ligote. La liberté de choisir sa vie, c’est pour moi le bien le plus précieux. »

Le succès de sa reconversion, Serge Rogivue l’attribue aussi au soutien inconditionnel de son épouse. Thérapeute, Valérie partage avec son mari la même quête du bien-être. Un bienêtre que l’ancien recruteur de talents devenu cirier transpose désormais dans la douceur de son atelier-boutique en proposant la bonne bougie pour la bonne personne.