Agir pour demain

L'intégration COMME MOTEUR

Publié en décembre 2022 

Mauriane Ongolo, fondatrice de l'association genevoise Action-Intégration, incarne le bonheur en couleurs dans les quartiers multiethniques des Libellules et du Lignon.

L'association Action-Intégration, créée le 8 mars 2011, offre à la fois accueil, conseils et notions de civisme aux étrangers débarquant à Genève, sans domicile et sans repères. Mauriane Ongolo, d'origine camerounaise, en est la figure emblématique.



Comment vous est venue l'idée de créer cette association ?

Cela s'est fait au cours d'un repas familial. On discutait. Il faut savoir que ma famille est une petite planète à elle seule avec des personnes venues de six pays différents. Donc on partage de grands repas multiculturels. Et un jour ma belle-soeur, pédiatre, nous racontait son étonnement de voir des enfants obèses parmi ses patients établis en Suisse et originaires de Chine, de Somalie ou d'Ethiopie. L'obésité étant rare dans ces pays, on s'est dit que leurs parents ne connaissaient peut-être pas ici les bons ingrédients pour bien les nourrir…



Leurs enfants mangeaient un peu n'importe quoi… ?

Oui c'est ça. Leurs parents, pour faire simple, leur donnaient à manger ce qu'ils trouvaient, à commencer par les chips. Et on s'est dit qu'on pourrait leur faire connaître les fruits et légumes suisses qu'ils ne connaissent pas et ainsi remplacer certains ingrédients de leurs recettes afin de mieux nourrir leurs enfants. Ce serait aussi, pour ces personnes, un premier pas vers l'intégration dans la communauté genevoise. Quelqu'un autour de la table a dit : « On y va. » Un autre a dit : « action ! intégration ! » L'association était née !


Et le nom était tout trouvé.


Nous nous sommes d'abord présentées comme une association pour l'intégration des femmes étrangères. C'était à nos yeux une façon de prendre un peu de pouvoir aux hommes autour de nous, car nous sommes souvent issues de pays et de cultures privilégiant le masculin. Cela étant, toutes les activités que nous avons organisées restaient ouvertes aux hommes.


La plupart des personnes qui contactent votre association aujourd'hui vous demandent d'abord comment trouver un logement, un permis de travail. Mais ce n'est pas vous qui cherchez un emploi pour eux ?


Non, notre rôle est de leur expliquer les codes de vie à Genève. Et
les petites choses du quotidien, parfois. S'intégrer c'est quoi ? C'est déjà prendre le bus toute seule ou tout seul…


Et vous faites quoi ? Vous les accompagnez à l'arrêt de bus ?


On leur explique qu'il y a des bornes où on peut acheter son ticket. On leur montre des photos, des pictogrammes. Comment sélectionner le bon ticket et comment lire les adresses. Il y a des personnes qui ne parlent pas encore le français. En fait c'est basique. On leur apprend aussi à dire bonjour, s'il vous plaît, merci.


Elles arrivent d'où, ces personnes ?


De partout, d'Italie, des Philippines, du Portugal, du Kosovo… On prend le temps de discuter avec elles de sujets qui les intéressent. Je les encourage beaucoup à parler, cela améliore leur maîtrise de la langue. On les entraîne à demander un renseignement. Parce que si elles ne le font pas, elles ne progresseront pas sur la voie de l'intégration. A un moment donné, on a accueilli une vague de femmes somaliennes qui étaient perdues. Elles ne sont pas venues à l'association, c'est moi qui suis allée à leur rencontre dans le parc que nous avons ici aux Libellules. J'ai discuté avec elles. Elles m'ont dit : « Mon mari ne me permet pas de sortir ! » J'ai dû leur faire comprendre qu'on est en Suisse, que la Suisse est un Etat de droit et qu'elles ont le droit de faire ceci ou cela, d'aller par exemple faire des commissions seules sans attendre le retour du travail de leur mari ! Ensuite on se recroisait au parc. Je me rendais compte que rien n'avait changé pour les femmes dont le regard restait évasif, mais il y en avait aussi qui venaient me remercier !


Vous leur apportez aussi des notions de civisme, chose importante pour vous.


Oui c'est très important. Si quelqu'un veut s'intégrer, il doit savoir comment fonctionnent les institutions, ce qu'est le Grand Genève, et c'est ainsi qu'il y trouvera son compte. Parce qu'il ne faut pas venir avec des a priori, se dire : « Oh ! Les gens ici sont trop sérieux ! » Non, les Genevois sont capables de fêter et de rigoler aussi ! Mais on ne plaisante plus lorsqu'on aide les candidats à préparer leur examen de naturalisation. Avec des feuillets, des pictogrammes pour leur apprendre ce qu'est le Jet d'eau, le pont de la Coulouvrenière, les perches du lac, la longeole, le Rhône… Histoire, géographie, instruction civique au niveau de la Suisse, du canton de Genève et de la commune de Vernier.
L'échange interculturel est important, c'est pour cela que j'incite les gens qui arrivent à parler avec les gens d'ici.

Mauriane Ongolo

Fondatrice de l'association Action-Intégration





Comment voyez-vous l'avenir en matière d'intégration ?


Ce sera très difficile, surtout qu'aujourd'hui on ne se parle plus trop avec l'arrivée des outils électroniques. Les gens ne semblent plus avoir le temps de sourire. Ils ne lèvent même plus le regard dans le bus. Il faudrait qu'ils essaient de regarder autour d'eux. Les outils électroniques facilitent la vie, mais ils rendent les gens égocentriques.


Vous êtes arrivée du Cameroun, mais vous dites n'avoir pas vraiment connu les difficultés de l'intégration, pourquoi ?


Parce que j'avais des parents très ouverts. J'ai été élevée dans une culture déjà très occidentalisée. Et je suis arrivée jeune, j'ai fait mes études ici à Genève. Cela facilite les choses.


Vous êtes bénévole dans votre association. Vous êtes aussi une des coordinatrices du Contrat de quartier de la ville de Vernier, qui finance des projets d'utilité publique proposés par les habitants eux-mêmes. Qu'est-ce qui vous motive à faire tout ce travail ?


Je dois sans doute être un peu hyperactive et j'aime les gens. Il y a un chanteur qui demandait dans une de ses chansons : « Où est le bonheur ? » Eh bien, c'est dans ces petites choses, dans ma commune, que je le trouve, mon bonheur !




QUESTIONS EXPRESS À

MAURIANE ONGOLO

QUESTIONS EXPRESS À

MAURIANE ONGOLO

Votre retraite idéale ?

C'est voyager, vivre simplement et découvrir d'autres cultures.

Si vous étiez un enfant, qu'aimeriez-vous recevoir à Noël ?

Le sourire des gens dans la rue.
Mauriane Ongolo devant un mur rouge

Vos espoirs pour 2023 ?

J'ai l'impression que le monde devient fou, donc j'espère que ce sera une année de paix.


Votre météo idéale pour Noël ?

La neige. Ouvrir mes rideaux et voir tout blanc, j'adore !


Le bonheur, c'est quoi pour vous ?

Le bonheur, on le trouve dans les petites choses de la vie, un sourire, un regard.

Vous semblez préférer l'intégration au communautarisme, qui consiste à réunir les gens selon leur culture et leur nationalité comme cela se fait en Grande-Bretagne. Pourquoi ?


Je trouve important qu'on se mélange parce que cela nous apporte à tous une richesse supplémentaire. Cet échange interculturel est important, c'est pour cela que j'incite les gens qui arrivent à parler avec les gens d'ici. Certains étrangers ont peur du rejet. Nous organisons donc des dîners canadiens pour favoriser ce mélange culturel, cette mixité sociale. Il y a au moins une cinquantaine de nationalités différentes dans le quartier des Libellules.


Puisqu'on parle mixité sociale et culturelle, vous avez participé à l'aventure photographique de l'artiste JR dans la cité du Lignon !


C'était magnifique, plusieurs centaines d'habitants ont été photographiés et ensuite exposés en grand format au coeur de la cité. Et chaque fois que j'allais au centre commercial, il y avait des personnes qui me disaient : « Je vous ai déjà vue ! » C'est plus tard que j'ai compris que ces personnes avaient tout simplement remarqué mon portrait, exposé parmi tous les autres.


POUR ALLER PLUS LOIN

LE LIGNON SOUS L’ŒIL DU PHOTOMATON

L’année 2022 restera dans les mémoires des habitants du Lignon, devenus à la fois sujets, acteurs et spectateurs de l’exposition géante INSIDE OUT/ LIGNE DE VIES, inspirée par l’artiste-performeur JR. Evénement culturel émotionnel dans une cité cosmopolite de 6500 âmes et d’une centaine de nationalités différentes, le Lignon a ainsi été montré, raconté, salué, mise en valeur par les journaux, les TV et autres médias de Suisse, de France et de Navarre.

LE VIRUS ARTISTIQUE


« Cette expo est d’abord due au Covid » déclare Xavier Casile, fondateur de la maison d’édition GOOD HEIDI Production qui a réalisé l’événement en collaboration avec JR et ses équipes techniques. « Tout était fermé en mars 2020 à Genève, les théâtres, les salles d’exposition, les librairies, il fallait faire quelque chose à ciel ouvert ». Le bouillant entrepreneur culturel énumère ensuite les obstacles qui se sont accumulés sur son chemin (la deuxième vague de Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine) mais Xavier Casile – on s’en rend compte en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire – est un homme d’humour, de contact, de parole et d’action. Il cite Kennedy : « Failure is not an option », (l’échec n’est pas une option).


UN CONCEPT PLANÉTAIRE


Lorsque Xavier Casile rencontre JR, il sait déjà tout du concept INSIDE OUT, décliné de toutes les façons du monde dans près de 150 pays. Plusieurs scenarii sont étudiés pour le Lignon avant d’aboutir à un principe très simple : les habitants de la cité, du bébé de 5 mois à la doyenne de 99 ans, sont invités à monter dans un bus-photomaton, manœuvré par les équipes de JR et à poser sur un fond à damiers, les portraits étant ensuite imprimés sur une affiche grand format (1,2 x 1m) et aussitôt collés sur des panneaux d’affichage disséminés dans la cité. Sur un kilomètre. Rien que ça.

ENGOUEMENT POPULAIRE


Cinq cents habitants du Lignon ont joué le jeu, donnant à cette opération un effet miroir très émouvant : « Regarde, ma photo est là-bas », pouvait-on entendre durant les jours d’exposition, du 8 au 24 avril 2022, « La mienne de l’autre côté, vers la Migros. Et tu as vu celle de ma voisine ? ». Cinq cents portraits et une radiographie saisissante de la population de cette cité multiethnique, construite dans les années 60, avec ses tours et ses barres d’immeubles. Où ça ? Dans la commune genevoise de Vernier c’est-à-dire, grâce à JR et Xavier Casile, à l’extrême centre de l’univers !