Retraite étonnante

Il donne une nouvelle vie aux pierres

Publié en avril 2024

Edifier des murs de pierres en montagne, les retaper, créer des esplanades avec vue époustouflante sur la plaine, c’est la passion dévorante qui habite Charly Wuilloud, depuis qu’il a pris sa retraite il y a plus de dix ans.

La vie de Charly Wuilloud, guide et ingénieur de formation, a été celle d’un homme d’action, faite de situations d’urgence, de relations humaines innombrables et souvent bouleversantes.

Lorsque la perspective de la retraite s’est dessinée, il a pris le taureau par les cornes : « Je me suis préparé pendant presque une année à cette échéance, à être seul. Il me fallait une occupation. Alors, comme en famille on a de la vigne et des murs, j’ai commencé par suivre un cours de cinq jours à l’Ecole d’agriculture du Valais, sur l’entretien et le montage des murs en pierres sèches.

Ensuite, sur le terrain, je n’ai d’abord fait que d’enlever des lierres. Et j’ai découvert, derrière ces lierres, des murs qui avaient mauvaise mine. Alors j’ai commence à les rebâtir et là, tout à coup, ça m’a pris, c’était encore plus grand qu’une passion. C’est presque devenu une drogue. » 

 

Dès lors, Charly Wuilloud arpente les routes et les chemins à vélo. Il repère les pierres avec lesquelles il va bâtir ses ouvrages, vient les rechercher en voiture pour les placer ensuite au bon endroit, dans le mur ou la construction qu’il édifie. 

 

Tout à coup, ça m’a pris.

C’était encore plus grand qu’une passion.


Charly Wuilloud

Bâtisseur de murs en pierres sèches

DES CAILLOUX « SOCIAUX »


En homme de terrain, le bâtisseur aime les comparaisons concrètes. A ses yeux, les pierres sont comme les individus d’une société, il y en a de toutes sortes :

« Certaines doivent tenir des rôles modestes à l’arrière et d’autres peuvent être mises avantageusement sur la face frontale du mur. » Et pourquoi dit-on mur en pierres sèches ?  Réponse de l’intéressé : « Parce qu’il n’y a que de la pierre. Pas de sable, pas d’eau, pas de ciment, rien du tout. On entasse ces pierres les unes sur les autres et elles se tiennent entre elles, comme un grand puzzle en trois dimensions. » Les avantages d’un mur en pierre par rapport à un mur en béton sont clairs pour Charly Wuilloud. Outre le gain esthétique, les pierres laissent passer l’eau. Elles ne lui font pas barrage, ce qui évite que l’eau et la terre trempée n’exercent une pression sur le mur. Cela freine l’érosion et contribue à expliquer la durée séculaire de ces ouvrages. 

Charly Wuilloud construit et entretient des murs de soutènement pour les vignes, mais il a aussi bâti une guérite, des terrasses, des esplanades imposantes. Dans la création de ces ouvrages, il estime que chaque caillou a son utilité : « Les pierres constituent une partie de notre monde et c’est frappant dans nos Alpes. Les agriculteurs les ont sorties de la terre pour édifier leurs cultures, en vivre. Je dirais que chaque caillou a sa raison d’être et je reste sans voix devant ces murs qui peuvent monter jusqu’à 28 mètres ! » 

DU CANTONNIER AU CONSEILLER FÉDÉRAL 


Dans son existence, Charly Wuilloud a eu la chance de faire ce qui le passionnait. Bien avant de travailler la pierre dans la région de Mont d’Orge au-dessus de Sion, sa profession l’a comblé.

 

 

Enfant, il se rêvait glaciologue. Il est parti deux fois en expédition au pôle Nord, avant de décider de changer d’orientation et de se former comme ingénieur forestier (à l’EPFZ) et comme guide de montagne. De retour en Valais, il se voit confier la charge de la gestion des dangers naturels du canton : chutes de pierres, éboulements, laves torrentielles, chutes de glace et bien sûr les avalanches. Une fonction qu’il exercera pendant trente ans :

« C’était d’une grande richesse sur tous les plans, j’avais des contacts qui allaient du cantonnier au conseiller fédéral. » 

 

Dans sa nouvelle vie active, le terme de dangers naturels prend un autre sens. « Le danger le plus grand, c’est la pierre qui peut tomber sur les pieds ! Alors il faut toujours prendre de bonnes chaussures et faire bien sûr aussi attention à ne pas se coincer les doigts ! ». Et quel équipement nécessite ce travail ? Peu de choses, en fait. Le sac à dos de Charly ne contient qu’une petite massette qui lui sert parfois à tapoter un caillou ou l’autre pour mieux le caler dans l’ouvrage : « Certaines personnes, pour faire leurs murs, vont chercher leurs pierres dans une grande carrière, des blocs qui ont déjà été formatés. Moi je me sers des pierres qui sont ici. Je ne prends pratiquement jamais une pierre qui a déjà été travaillée. » 

 
Le canton du Valais comporte quelque 3000 km de murs en pierres sèches. Soit la distance de Genève à Antalya en Turquie !

 

 

 

 


PLUSIEURS TONNES PAR JOUR 


Et physiquement ? A 74 ans, Charly Wuilloud ne se prend pas pour Obélix, infatigable livreur de menhirs, et il concède que son travail demande quelques efforts : « C’est assez dur, surtout quand on a de grands blocs. Ça représente plusieurs tonnes par jour. En fait, chaque pierre que j’utilise, pour bâtir un mur par exemple, je dois la soulever quatre ou cinq fois : une fois pour la sortir de son pierrier, une fois pour la charger sur une brouette, ensuite il faut l’amener jusqu’à l’ouvrage, l’enlever et la remettre plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle se cale correctement. » 

Enfin, quel regard Charly Wuilloud porte-t-il sur l’ensemble de son travail ? « Quand je regarde ce que d’autres que moi ont fait, le murs qu’ils ont montés pour pouvoir survivre économiquement avec leurs cultures, je trouve extraordinaire ce qu’ils ont réalisé. Alors quand je vois ce que je fais moi, je me dis que c’est une petite goutte d’eau dans la mer, mais que c’est au moins une goutte. »